MEDIACTU MARS

 

Il s’en est allé comme il avait vécu…, sur la pointe des pieds, dans la discrétion. Il nous laisse un héritage immense, avec une vingtaine d’œuvres qui figurent parmi les plus abouties de l’histoire du cinéma. Dans notre rubrique de février, nous saluions l’hommage unanime qui lui avait été rendu au Festival de Berlin, où il présentait son dernier né « Aimer, boire et chanter ». Nous ajoutions que le bon cinéma était générateur d’une éternelle jeunesse… Alain Resnais nous a quittés, avec cette jeunesse éternelle, le 1er mars…

C’était en 1960, à Liège, au Club de l’Ecran d’Hadelin Trinon… Ce soir-là, Alain Resnais et Marguerite Duras présentaient une des œuvres les plus importantes d’un art qui se redécouvrait avec la Nouvelle Vague, il s’agissait d’ « Hiroshima mon Amour ». Séance fascinante parce que l’on touchait, par le cœur et l’esprit, à la création à l’état pur, à l’expérimentation sur le langage, à l’éblouissement du style, autour d’un thème aussi fort qu’obsédant, une déflagration mondiale et individuelle. Mais Resnais et Duras, c’était aussi une rare complicité entre un auteur et sa scénariste, une rencontre comme on peut en rêver aujourd’hui encore pour construire un des premiers grands poèmes du cinéma parlant. Premier long-métrage d’un maître à voir et à penser qui avait déjà, à ce moment, affirmé la force de son écriture et l’humanisme de son regard. Tout à la fois dans le cri de « Guernica », la rigueur de « Toute la Mémoire du Monde », la terrible évocation de « Nuit et Brouillard », l’engagement des « Statues meurent aussi ». Autant de courts-métrages, autant de leçons de cinéma qui annonçaient un itinéraire hors du commun.

Resnais, ce fut un « instant décisif » du cinéma, par sa recherche, son refus de toute complaisance et de toute facilité, par le doute qui n’a cessé de l’habiter et par cette modestie qu’on ne trouve que chez les grands.

On peut tout au plus regretter aujourd’hui que l’hommage que les médias lui ont rendu ne soit pas plus appuyé. Une timidité due, paraît-il, à des problèmes de distribution…

 

Après une telle exploration passionnante du texte filmique, on n’aurait plus guère envie de vous parler des Césars, des Oscars, ou autres cérémonies dites « prestigieuses » par leurs paillettes, leurs « miracles », leur « terribles désillusions », leurs « grandissimes favoris ». On sait que cette 86e soirée des Oscars vit le triomphe de « Twelve years a slave », récompensant le réalisateur noir Steve McQueen pour ce mélodrame sur l’esclavage. On sait aussi que « The Broken Circle Breakdown » de Felix Van Groeningen ne réussit pas à convaincre les jurés qui devaient attribuer le prix du meilleur film étranger. La consolation vint de « Mr Hublot », Oscar du court-métrage d’animation, film luxembourgeois se réclamant de l’univers génial du sculpteur belge Stéphane Halleux.

 

Et ceci nous amène sans détour à l’édition 2014 d’Anima. Un festival qui continue à faire pas mal d’heureux, plus de 30.000 entrées cette année, un type de cinéma qui ne cesse de réserver de très jolies surprises et un haut degré d’inventivité. Le grand prix attribué au meilleur court-métrage « Futon » du Japonais Yoriku Mizushiri vient souligner tous les mérites de l’expérimentation graphique et d’une recherche formelle qui rompt avec les balises du genre. Un programme très contrasté qui confirme que l’on est désormais très loin ici des productions Disney, très loin même d’ « Ernest et Célestine ». L’animation a déjà été par le passé un domaine d’expérimentation technique, graphique et scénaristique, ce sont là des territoires qu’elle continue à explorer avec bonheur.

 

Restons dans l’image et l’expérimentation pour évoquer la neuvième Biennale Internationale de la Photographie (BIP) de Liège. N’est-ce pas Diderot qui disait qu’il y avait autant de risques à croire trop qu’à croire trop peu ? La citation, en tout cas, pourrait être mise en exergue à la manifestation baptisée « Pixels of Paradise », ce qui a été traduit un peu prosaïquement par « Images et croyances ».

Entre l’image et la croyance, il y a toujours eu une relation fusionnelle et, forcément, ambiguë. On a pris l’habitude de croire ce que l’on voit et même d’y adhérer sans trop développer une attitude critique ou une simple méfiance. L’image, on le sait mais on l’oublie trop souvent, n’est jamais qu’une simple représentation de la réalité à laquelle on se réfère, une représentation éloignée ou proche, volontairement ou non aussi fidèle ou aussi trompeuse que possible. Si l’on croit trop à l’image, le risque est effectivement de l’identifier trop vite à la réalité. Si l’on y croit trop peu, on se refuse peut-être un moyen d’accès à cette même réalité, une première approche à soumettre au doute et à l’analyse, certes. Mais l’image peut devenir effectivement un « passeur » privilégié vers ce qui nous aurait peut-être échappé. 

BIP 2014 nous présente une infinité de variations sur ces déclinaisons de la croyance, de la mystification à l’envoûtement ou à l’hypnose, du mensonge « évident » à la vérité « supposée ». La manifestation se répartit sur une douzaine d’espaces d’accueil. On y trouve aussi bien la très monumentale Cité Miroir (ancienne piscine de la Sauvenière), le Cerce des Beaux-Arts, l’Espace 251 Nord, le Musée d’Ansembourg, la Chapelle Saint-Roch ou la Brasserie de Haecht… Des lieux très différents qui viennent imprimer une dimension spécifique aux photos exposées. Mais la variété existe tout autant dans les modalités d’accrochage, on passe ainsi du mur d’images à des espaces plus confinés, des installations vidéo à des mises en perspective par l’œuvre photographique de son environnement immédiat, religieux, muséal, numérique,… Quant aux thèmes abordés, ils nous renvoient aux « Idoles », aux « Icônes », aux « Mirages », aux « Vues de l’esprit », à l’ « Au-delà », entre autres… Soit douze expositions au cœur de la ville avec, comme fil rouge de ce périple éclectique (du moins, en apparence) : les arts visuels contemporains et la vénération de nos sociétés pour le visible médiatique avec sa puissance de persuasion, ses illusions, ses utopies, ses rêves ou… son engagement. Un itinéraire à accomplir au gré des semaines à venir (jusqu’au 25 mai), mais aussi au gré de ses fantasmes ou de ses coups de cœur.

 

Enfin, nous avons beaucoup apprécié l’initiative prise par « Le Soir » de publier les fac-similés des Unes des 02, 03, 04, 05, 06 août 1914, soit la première semaine de mobilisation, avec la déclaration de guerre à la Russie, l’ultimatum à la France, à la Belgique, la violation de sa neutralité et la déclaration de guerre du mercredi 5 août, puis l’ultimatum de l’Angleterre à l’Allemagne relativement à la neutralité de la Belgique.

Ce genre d’initiative n’est certes pas neuf, mais celle-ci se limite, la plupart du temps, à une « Une » ponctuelle évoquant le décès d’un grand de ce monde, ou un événement d’importance planétaire. Ici c’est l’enchaînement de cinq « Unes » qui a tout son intérêt, car il permet d’analyser les réactions de la rue, les premières escarmouches, mais aussi des titrailles qui valent leur pesant d’or… « A Liège, nous tenons l’ennemi en échec », « Un nouveau succès belge près de Visé », etc. A l’époque, le fait divers n’hésitait pas à envahir la Une ; car on y rencontre tout à la fois la visite de l’ambassadeur d’Angleterre à Berlin, les premières troupes qui débarquent chez nous, l’interview d’un voyageur qui revient de Cologne, un appel de nos mères de famille, ou le président de la société des aérostiers qui obtient d’être incorporé en dépit de sa barbe blanche… 

C’est à la fois émouvant, significatif d’un état d’esprit, significatif aussi d’un autre type de presse, d’un autre rapport de celle-ci à son lectorat et à l’information… ça vaut, en tout cas, la peine d’être analysé avec les élèves, à l’époque de la presse en ligne et des tablettes.

 

M. Cl.