MEDIACTU – OCTOBRE 2013

 

Une nouvelle belgitude médiatique est née, issue des victoires des Diables Rouges, de l’enthousiasme déclenché par Stromae, par le tour de Belgique de Mathilde et Philippe ou encore par la prochaine joyeuse entrée du couple de pandas à Pairi Daiza. Faut-il donc que le destin d’un pays soit lié à une telle récupération orchestrée par la presse ? Et encore ne faisons-nous pas allusion au prix Nobel de physique inclus dans le package. Mais il paraît que désormais nous surferons sur l’ « émocratie » et que nos émotions seront effectivement le ciment de notre réalité socio-économique et communautaire de demain. Pourquoi ne pas construire un plan quinquennal émocratique ? Après tout, une vraie démocratie pourrait être en point de mire ou, à défaut, en horizon d’attente… Mais, dans l’entretemps, voici déjà les marronniers d’Halloween, de Saint-Nicolas (avec la mort annoncée de son complice) et même du Tour de France (devenu en partie Tour d’Angleterre pour commémorer 14-18). Décidément, ces arbres sympathiques se bousculent au portillon. Mais, octobre, ça n’a pas été que la naissance d’une nouvelle « belgitude médiatique », ça a été aussi, entre autres, le palmarès du FIFF, la journée et la présence en force de l’EAM au Salon de l’Education, l’inauguration de l’exposition d’affiches communistes en Belgique, les nouveaux paramètres de Facebook et la publication d’une première radioscopie nationale des journalistes.

 

Le FIFF a clôturé sa 28e édition en beauté avec l’attribution du Bayard d’Or au film « Child’s pose » de Calin Peter Netzer ; le réalisateur avait déjà obtenu l’Ours d’Or à Berlin. La relation mère-fille se trouve au centre du propos d’un film à portée universelle, qui interpelle le spectateur par son intelligence et la qualité de son interprétation. Ce cinéma roumain est en tout cas à découvrir et force les portes des distributeurs en accumulant, au cours de ces dernières années, les prix et récompenses. On apprend également qu’Olivier Gourmet quitte la présidence d’honneur du Festival, non sans exprimer sa désillusion sur la manière dont le cinéma belge est considéré et traité. Nous retiendrons de l’interview qu’il a accordée au « Soir » à ce propos la véhémence de ses paroles à l’égard des exploitants de salles qui préfèrent les mainstreams américains à son propre cinéma national. Nous noterons aussi toute l’importance qu’il accorde à l’éducation face au cinéma, aux ateliers et à la formation.

 

Venons-en maintenant au Salon de l’Education de Charleroi, qui fit de l’éducation aux médias son invité d’honneur. Présence en force des opérateurs de l’EAM (et de leurs « associés ») au Village de l’Education aux Médias, et à la journée qui lui fut consacrée. Ce mercredi 16 octobre, les interventions se sont multipliées… Ainsi, le fascicule « Les compétences en éducation aux médias, un enjeu éducatif majeur » a été présenté au public nombreux qui se pressait dans le forum Nord, des classes de normaliens, des maîtres-assistants, des inspecteurs et les membres du CSEM. Nous aurons, bien évidemment, l’occasion de vous reparler de ce document important issu des travaux du groupe « Formation » du CSEM, présidé par Michel Boumal qui, avec Thierry De Smedt, introduisait le document « Un référentiel de base qui vise à embrasser toute l’étendue de l’éducation aux médias de manière à en dégager la spécificité et à prévenir les malentendus encore courants qui ramènent cette éducation à l’usage des médias comme outils de formation, à l’apprentissage de l’utilisation des TIC, à la critique de type historique, etc. ». Un modèle, un cadre de réflexion et d’action, une aide précieuse aux concepteurs de programmes. Ces concepteurs auront à décliner le document et à l’assortir de pratiques pédagogiques concrètes en fonction de la variété des publics de l’éducation aux médias.

Ces déclinaisons sont essentielles pour échapper à la théorie et aller vers des scenarii pédagogiques et des activités qui s’intègrent aux apprentissages de l’école maternelle, du primaire, du secondaire, du supérieur pédagogique (en formation initiale), mais aussi de l’éducation permanente et de tout le secteur associatif. Cela veut dire qu’on est loin du compte et que seule la première étape est franchie. Il est désormais crucial de ne pas brûler les étapes à venir, sous peine d’avoir un modèle vide de sens, que d’aucuns s’empresseront d’oublier ou de rejeter.

Autre manifestation de cette journée : l’exposé par les enseignants lauréats de l’appel à projets du CSEM des activités pédagogiques mises en œuvre dans leur classe du fondamental ou du secondaire. Ces présentations parallèles furent suivies de la remise des récompenses par le président du CSEM Tanguy Roosen.

Enfin, il y eut la séance consacrée essentiellement aux réseaux sociaux. En l’absence de Serge Tisseron, malade, elle s’est centrée sur le Groupe de Travail du CSEM coordonné par Julien Lecomte et sur les fiches élaborées par ce groupe : identité(s) numérique(s), socialisation numérique, recherche et fiabilité de l’information en ligne, production et agencement des contenus en ligne, questions juridiques. Le thème global de la séance portait sur « L’éducation aux médias en réseau : de la protection à l’éducation ». Et, effectivement, pour contrer les (très) nombreuses tentatives de récupération sécuritaire, il est essentiel de discuter des stratégies éducatives à mettre en place. Isabelle Colin du C.A.V. de Liège insiste notamment sur la nécessité de coupler deux types d’actions : il importe de pouvoir répondre en urgence à un incident critique dans une école, mais il est tout aussi important de développer dans l’enseignement une réflexion cohérente et éducative sur la participation des élèves aux réseaux sociaux, afin de sortir de l’urgence et de mettre en place une vraie politique.

On ne cesse, en fait, de se trouver devant des organismes, dûment reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles d’ailleurs, qui développent des modules prétendument en EAM, où les maîtres-mots sont « danger », « dépendance », « nuisible », « médias-mensonges », « violence », « violer »,… Bref, on s’arrête ici, car l’épanouissement des jeunes et leur autonomie ne passent pas par de telles manipulations.

 

Dans un tout autre domaine, mais combien proche de l’éducation aux médias : l’exposition « Affiches communistes en Belgique » (Regards militants sur le XXe siècle). On connaît l’importance du rôle de l’affiche comme média de masse. On sait aussi que l’affiche est multiple dans ses fonctions, dans ses styles, dans les codes qu’elle mobilise ou dans les effets qu’elle veut induire auprès des publics auxquels elle s’adresse. Mais l’affiche est, avant tout autre chose, un média de communication sociale, un des plus anciens, un des plus accrocheurs. Le message ici se veut direct, percutant. Il faut convaincre et le faire dans l’urgence. Pas question, dès lors, de trop argumenter, il faut surtout séduire, dénoncer, ridiculiser, frapper l’imagination. 

Pour beaucoup de manuels d’histoire, le mot « communisme » s’identifie au « totalitarisme » de Staline. Cependant, tout au long du XXe siècle, le concept s’est identifié à un idéal de vie. Les 150 affiches réunies ici le font clairement percevoir en évoquant les principaux événements qui ont jalonné l’histoire du communisme depuis la crise des années 30 jusqu’aux turbulences nationales et internationales de la fin des années 90. On trouvera ainsi des échos des revendications sociales, de l’opposition au fascisme, de la guerre froide, du pacifisme, du féminisme, de la solidarité avec le Congo et le Vietnam alors en lutte pour leur indépendance, des dictatures fascistes d’après-guerre,… Mais au-delà de l’événementiel, il y a aussi au travers de ces affiches une interrogation sur la continuité des enjeux sociaux et politiques, une interrogation sur les enjeux de l’image et du média comme tel, et… forcément, sur la nécessité impérieuse de développer une éducation à l’image, si prégnante dans notre environnement quotidien (BAL de Liège, jusqu’au 6 janvier 2014).

 

Facebook et ses nouveaux paramètres est aussi présent dans les médias d’octobre. Ainsi, « Le Soir » donne un écho aux nouveautés annoncées par le réseau social et interroge : « Puis-je laisser mon ado faire ce qu’il veut sur Facebook ? » (18/10/2013). Il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a sur Facebook trois classes d’âge soumises à des règles différentes : les moins de 13 ans n’ont pas le droit d’ouvrir un compte, les 13-18 n’ont qu’un accès limité à toutes les fonctions du réseau, les plus de 18 ont un accès illimité à toutes les fonctions. Mais on sait que les moins de 13 ans trichent sur leur âge… Quelles sont les nouveautés annoncées ? Les textes des images publiées par les ados ne seront plus envoyés qu’aux seuls amis ; on restera donc dans le domaine privé… et voici les parents rassurés. La deuxième nouveauté, les ados pourront désormais publier des contenus en mode public. Ça peut paraître contradictoire, paradoxal, mais peu importe, Facebook de tout temps a joué avec l’ambiguïté public-privé. Et Serge Tisseron, consulté, reste lui aussi entre les deux, mais néanmoins, en profite pour faire appel à la vigilance des parents tout en rappelant qu’il ne faut pas surveiller les enfants, « c’est contre-productif ». Ambigu, qu’ils disaient…

 

Publication des résultats d’une première radioscopie nationale des journalistes, réalisée par les services de recherche de l’ULB et l’Université de Gand. 1683 journalistes ont répondu, soit un taux de réponse de 33 %. Des résultats assez proches de ceux publiés par l’AJP au début de 2013. On y évoque tant les tendances récentes de la couverture médiatique en matière de sensationnalisme, que le journalisme d’investigation, l’influence des services de communication, l’importance accordée à l’actualité étrangère. On y parle d’un métier toujours très masculin, d’un accroissement de la diversité des origines, d’un positionnement à gauche sur l’axe politique, des écarts salariaux, de l’importance de la salle de rédaction dans l’exercice du métier.

A propos des canaux d’info utilisés, les contacts téléphoniques viennent en premier, ensuite les autres médias belges, puis les dépêches d’agences de presse nationales et internationales. Mais le recours aux réseaux sociaux, aux sites de microblogging et aux sites de partage, ne s’imposent pas vraiment comme pourraient le laisser entendre les ouvrages récents sur les mutations de la profession. Un mot encore, il est important à nos yeux, « Près de 30 % des journalistes ont déjà renoncé à publier une information par crainte d’encourir des poursuites judiciaires. » (« Journalistes » N°152. Octobre 2013)…

 

M. Cl.