MEDIACTU – Janvier 2013 

 

2013 a commencé sous le signe de la continuité… Le Mali remplace la Syrie, Arcelor Mittal a pris la place de Ford Genk, les restructurations bancaires se succèdent, après Laurent c’est Fabiola, après la confession de Lance Armstrong, ce sera celle du Quatar, après Beatrix… mais n’anticipons pas, l’info ne devrait pas s’identifier à des marronniers en vadrouille.

Mais essayons d’échapper à la morosité et soulignons d’abord les 75 ans de notre Cinémathèque Royale (Cinematek). Cette dame respectable est toujours aussi alerte et tournée vers l’avenir. Sa collection exceptionnelle de 70.000 titres, ses projections quotidiennes, ses rétrospectives, ses programmes thématiques, ses activités éducatives, une bibliothèque unique en Belgique et au monde, autant d’éléments qui viennent ponctuer une politique extrêmement dynamique et en font un des principaux atouts de l’éducation au cinéma chez nous. Sans oublier évidemment que notre cinéma belge y trouve des modèles de qualité, des références sortant de l’ordinaire... Des copies uniques, des raretés qu’il importe de faire découvrir certes, mais aussi de protéger. Tout un passé à assurer pour l’avenir, et déjà pour le présent. Car il faut à la fois conserver le numérique, mais aussi restaurer grâce au numérique, archiver, être un maillon avec les cinémathèques de Paris, Londres, New-York et rester en perpétuelle recherche pour être, à 75 ans, un précurseur comme son conservateur, Jacques Ledoux le fut, attentif à une institution qui se devait d’être tournée vers l’avenir et de promouvoir une passion : l’amour du cinéma.

Le cycle Jean Renoir vient illustrer ce dynamisme à merveille. Au cours de sa carrière, Renoir s’est construit une vision cosmique et une œuvre monumentale, qui se développe tout au long d’un demi-siècle, expérimentant une multitude de styles, de l’avant-garde des années 20 au réalisme et au naturalisme. Renoir donne souvent l’impression de s’identifier aux grands auteurs qu’il adapte, que ce soit Flaubert, Gorki ou Zola. Mais, en même temps, il atteint très vite les sommets du 7ème Art, avec «La grande illusion» et «La règle du jeu», où il analyse les rapports des classes sociales et où il affirme son engagement artistique et politique au travers de sa diversité. C’est Jean-Luc Godard qui a résumé en une formule magique son influence déterminante : «L’art en même temps que la théorie de l’art. La beauté en même temps que le secret de la beauté. Le cinéma en même temps que l’explication du cinéma»… Renoir le pacifiste, l’anarchiste, le socialiste attaché au Front populaire. Mais aussi Renoir qui n’est jamais vraiment satisfait du niveau atteint et qui n’hésite pas à se lancer dans cette formidable aventure de son premier film en couleurs «Le Fleuve» (1951), qu’il réalise en Inde et qui témoigne de sa volonté de s’identifier au mouvement du monde et à l’essence de la vie. Pour lancer l’année de son 75 ème anniversaire, quel autre cinéaste la Cinematek aurait-elle pu choisir que Renoir, ce sommet si proche de nous, si accessible… ?

Dans un tout autre registre… mais l’image, on le sait, est multiple et ne cesse de se construire au fil des supports qu’elle fréquente, des fonctions qu’elle assume, des potentiels techniques ou stylistiques qu’elle veut exploiter… dans un tout autre registre donc, voici les Nouveaux Médias en Fédération Wallonie-Bruxelles présentés par le CSA. Et nous nous trouvons bien ici au cœur des mutations résultant des changements technologiques, d’un nouveau type de consommation, de l’apparition de nouveaux acteurs dans notre paysage audiovisuel, de nouveaux contenus aussi et de nouveaux modèles de fabrication.

En programmant cette rencontre, Dominique Vosters, le nouveau Président du CSA, veut prélever un fragment d’une situation qui évolue de jour en jour, il veut aussi que son institution participe à la réflexion européenne sur les SMA (Services des Médias Audiovisuels). La nature de ces SMA est linéaire ou non ; la mise à disposition s’effectue sur une plateforme fermée (câble, IPTV) ou ouverte (Internet). Ils regroupent des acteurs traditionnels, comme la RTBF et ses nouvelles déclinaisons, les télévisions locales, mais aussi des services privés (VOO, Belgacom, Mobistar ou Numéricâble). Cette multiplicité correspond à une convergence profonde des médias, mais aussi à une expérience enrichie pour l’utilisateur. Celui-ci peut désormais consommer des contenus audiovisuels où il le veut et quand il le veut, en faisant appel à des équipements de plus en plus sophistiqués : TV connectées, tablettes, smartphones, seconds écrans. Ces nouveaux écrans, interfaces numériques et interactives, permettent à leurs utilisateurs de s’ouvrir au monde et d’expérimenter de nouveaux modes de communication et d’interaction. Le développement ininterrompu de nouveaux équipements et services entraîne bien de nouveaux comportements et un régulateur comme le CSA doit adapter son approche et ses moyens d’action. S’il faut effectivement continuer à protéger ce que l’on pourrait appeler des publics fragiles, il importe aussi de promouvoir l’accessibilité, la diversité culturelle, le pluralisme, la production de contenus locaux et la créativité, qui doit trouver dans ce nouveau contexte des incitants majeurs.

La démonstration en a d’ailleurs été faite en cours de séance, notamment avec des réalisations de WebTV. Dans ce domaine, on assiste à une très grande diversité de projets éditoriaux, à une explosion d’expérimentations, certaines géniales, d’autres plus aléatoires… Mais on se trouve au cœur de la «Social TV», avec des acteurs comme «Waterloo TV», «Les Gars de Jette», «Laid back radio». On passe ainsi du gag, à la limite de la trivialité, à de la création citoyenne où chacun se réapproprie l’outil, souvent dans des projets participatifs, intergénérationnels, et parfois flamboyants d’imagination. Le panel qui nous est proposé ici est à l’image de l’enthousiasme qui rythme chacune des interventions. Décidément, l’image a encore tout l’avenir devant elle. Et la régulation là-dedans ? Elle devra être graduée, prudente, tributaire d’un travail collectif, inventive, elle aussi, tout comme les nouveaux contenus. Un bémol peut-être… l’école est assez étrangère à toute cette effervescence, du moins semble-t-il. Car si les opérateurs présents n’ont pu faire état de contacts avec le monde scolaire, une prise de conscience commence à apparaître dans certains établissements pratiquant la pédagogie active, qui développent leur propre plateforme de Web TV. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on sait – dixit Thierry Geerts, directeur de Google Belgique –  que 72 heures de vidéo sont produites chaque minute dans le monde… et à un moment où les webdocumentaires commencent à prendre leur envol.

Nous avons évoqué en début de rubrique un anniversaire, nous clôturerons avec ces 125 ans du «Soir», auxquels il a déjà été fait allusion. Mais nous voulons, à cette occasion, saluer une initiative du quotidien. Pour célébrer sa naissance un 17 décembre 1887, rue d’Isabelle, à deux doigts de la Grand-Place, «Le Soir» a décidé de publier une série de Unes, dont l’intérêt historique et médiatique vaut d’être souligné. On y trouvera ainsi la mort de la Sabena, le drame du Heysel, la chute de Mobutu ou le décès du roi Beaudoin. L’initiative s’accompagne de fac-similé et d’une mise en perspective de l’événement présenté. Un concept intéressant que cette «Histoire à la une».

Nous voudrions aussi faire écho à l’important débat déclenché par le trimestriel XXI et consacré aux rapports entre la presse écrite et le numérique. Chaque quotidien multiplie les initiatives pour développer son offre numérique. Si nous prenons « Le Soir » précisément, trois éditions se déclinent dans tous les environnements : lesoir.be, le PDF et une édition 100% numérique «Le Soir 17 h». Il y a bien une volonté de mutation, qui laisse peut-être un certain nombre de questions en suspens : identité des contenus, des publics, des approches. Alors, une mutation à tout prix pour être «dans le vent», au risque de se planter et devoir faire marche arrière ? Le mensuel de l’AJP «Journalistes» fait une première synthèse, signée Jean-Pierre Borloo… Nous aimerions vous reparler de ce débat dès le mois prochain.

 

M.Cl.