MEDIACTU – Novembre 2012

 

L’hiver approche… Dans le chemin creux qui court entre les pâturages, le fermier fait rentrer ses vaches à l’étable, un pic vert obstiné essaie d’arracher un ver de terre à un sol déjà engourdi, un vent violent fait tourbillonner des nuages de feuilles mortes, et la bourrasque ne semble pas devoir faiblir… Pas plus d’ailleurs que les turbulences qui ne cessent de secouer notre vie économique et sociale, d’Arcelor Mittal aux exploitations agricoles, d’ING à Belfius, du budget national aux finances européennes. Avec, comme toile de fond, une sourde angoisse et une colère qui éclate, les médias relancent leurs baromètres politiques et relaient les soubresauts d’un monde qui se cherche de nouvelles balises ou, plus simplement, de nouvelles raisons de croire à son futur.
 

Peut-on dire que ces médias se laissent aller à une forme de catastrophisme… Non. Mais comment appréhender valablement des statistiques de faillites et de mise au chômage quand ces statistiques ne s’accompagnent pas aussi des chiffres de création de nouvelles entreprises et d’emplois nouveaux ? Statistiques tronquées, relativité des sondages, moyennes à pondérer, infographies à nuancer. Ce furent là des thèmes abordés lors de la journée des profs relais au CAF de Tihange… «Les nombres : de la presse à la classe» ou comment comprendre, interpréter et exploiter pédagogiquement des chiffres et nombres, notamment dans des cours de sciences économiques ou sociales. On lira un descriptif détaillé de cette rencontre organisée par les centres de ressources, le CSEM, l’AJP et JFB sur le site OMQ/CSEM. Mais redisons ici simplement la richesse d’une mise en perspective comme celle-ci, où les collègues peuvent croiser les infos reçues d’un spécialiste universitaire de sociologie des médias, d’un journaliste qui élabore les baromètres politiques, d’un infographiste chargé de rendre ces chiffres accessibles au lecteur moyen sans en tronquer la réalité, de conseillers pédagogiques qui voient comment transposer tout ceci dans les cours, en les rendant à leur tour accessibles à nos élèves. Cette approche plurielle d’une problématique assez rébarbative, il faut bien en convenir, permet de mieux saisir le contenu et ses nuances, de mieux démonter les pièges et les ambivalences qui se nichent parfois dans tous ces camemberts colorés qui peuplent nos quotidiens…

 

Chez nous toujours, la RTBF a lancé sa «Boîte à clichés». Son sous-titre est important : «sexe et stéréotypes dans les médias». Il nous concerne donc tout particulièrement, car la déconstruction des stéréotypes est bien un élément essentiel d’une politique d’éducation aux médias. En fait, il s’agit de capsules d’une minute trente sur les clichés et idées préconçues qui abondent dans les médias. Leur concepteur, Stephan Hoebeke, précise son objectif : «Il importe de montrer qu’on doit dépasser, dans les médias, comme chacun personnellement, ses propres clichés, en ouvrant les yeux et les oreilles. Dans notre société, les fonctions, les traits de caractère, les valeurs, ne doivent pas être rattachés à un sexe […]. Le message implicite, c’est que nous avons tous toutes les potentialités». Un objectif qui ne peut nous laisser indifférents, une initiative qui mérite d’être soulignée. Ces capsules sont pour l’instant au nombre de huit. Avouons que nous avons été un peu déçu par un contenu peut-être sacrifié à un habillage rythmé, agréable à voir et qui fait sourire (même à nos propres dépens). En fait, il s’agit surtout d’une volonté d’interpeller le téléspectateur. Mais forcément, une capsule vidéo déclenche, accroche, plus qu’elle ne déstabilise ou ne questionne véritablement. En termes d’analyse, on a à peine entre-ouvert une porte qui donne sur une problématique complexe et plus nuancée qu’il n’y paraît. Il serait souhaitable que la RTBF ne se limite pas à ces microprogrammes pour être dédouanée de sa mission d’éducation aux médias. Si l’on veut effectivement provoquer la réflexion, apprendre à décoder, ou à «déstabiliser nos certitudes», il s’agit alors d’envisager un plat de résistance et pas un simple hors d’œuvre. Celui-ci nous a mis en appétit, nous attendons la suite du menu.

 

De la RTBF, sautons au CSA, que quitte Marc Janssen, après avoir traité pas mal de dossiers difficiles de notre paysage audiovisuel, pendant les cinq ans de sa présidence. Parmi ces dossiers, il y eut évidemment celui de RTL et de son statut luxembourgeois, lui permettant d’échapper à la régulation belge. Mais on peut aussi évoquer le nouveau plan des fréquences radio, ainsi que les inévitables problèmes posés par les nouveaux opérateurs qui vont accéder chez nous aux écrans TV. Mais la télé connectée semble bien avoir été intégrée par le média TV lui-même. Néanmoins, les enjeux de demain ne seront pas nécessairement de tout repos pour le nouveau président Dominique Vosters, qui nous vient de l’Administration de l’Audiovisuel. Il connaît bien le CSA puisqu’il en fut le secrétaire pendant une dizaine d’années et vient, par ailleurs, de travailler, depuis 2004, au Cabinet de la Ministre Laanan comme chef de cabinet adjoint et expert audiovisuel, ce qui lui a permis d’être en contact direct avec le terrain et ses problèmes quotidiens.

 

Restons chez nous, pour évoquer encore cette conférence européenne sur la Media Literacy, organisée par la Commission avec le groupe des experts. Chacun attendait, avec une certaine curiosité, cette rencontre, ces retrouvailles même. Le focus avait été mis sur l’éducation au cinéma ; on peut imaginer qu’il s’agit ici d’ailleurs d’une éducation plus «économiquement» porteuse que l’éducation généraliste aux médias… Un intitulé pour le mois alléchant «Creative Europe, new opportunities for film and media literacy», quelque cent cinquante participants, représentant pratiquement tous les pays européens. En fait, il est clair que chacun essaie de prendre avec la crise que nous connaissons les aménagements qui lui permettront de survivre, même si les perspectives d’une embellie semblent faire cruellement défaut. Quoi qu’il en soit, des pratiques nouvelles se développent ; elles s’appellent journalisme citoyen, réseaux sociaux, auto-production, … Ces pratiques peuvent contribuer à nourrir de nouveaux espoirs. José Manuel Tornero, de l’Université autonome de Barcelone, veut en tout cas, souligner cette hypothèse d’ouverture. Mais on reste sur sa faim quant à des mesures ou même des perspectives concrètes. Sur ce plan, l’atelier de l’après-midi consacré précisément à l’éducation au cinéma fut assez significatif. Il y fut essentiellement question de coproductions nationales ou transfrontalières s’appuyant surtout sur les réalisations de films par et pour des publics jeunes. Ateliers de découverte, festivals, rencontres, coaching, etc. Certes, les stratégies proposées ici impliquent bien un dynamisme et un engagement des opérateurs, elles oeuvrent à un nouvel environnement d’échange et de collaboration. Mais on reste au niveau des «bonnes pratiques», sans donner l’impression de vouloir les faire évoluer fondamentalement pour donner des réponses spécifiques à des conditions économiques de plus en plus difficiles. Et encore se situe-t-on ici au plan de la production et pas de la formation et de la recherche, deux domaines auxquels nous sommes plus sensibles. Deux domaines aussi où les coupes budgétaires se font particulièrement sentir… Alors, nous avons eu surtout l’impression d’une conférence de transition, où chacun essaie de se positionner par rapport à de nouveaux enjeux, mais où il n’y a pas encore de stratégie alternative. Incidemment, nous aimerions faire un parallèle avec la conférence britannique de la Media Education Association et du British Film Institute, programmées à Londres pour cette fin novembre également. Ce n’est pas un hasard si l’intitulé de la conférence d’introduction du professeur David Buckingham commençait par «Hard times : Media Education…»  La morosité n’est pas notre seul apanage…

 

Elle ne semble d’ailleurs pas toucher tout le monde de la même manière. Les traditionnels guides multimédia annonçant les fêtes de fin d’année se pointent un peu partout. Envie de glisser un smartphone dernière génération dans les souliers de vos ados, opportunité rêvée pour changer de TV, occasion inespérée de faire l’acquisition d’une tablette ou d’un notebook – plus portable que ça tu meurs ! – N’hésitez pas, la consommation vous tend les bras, elle est à portée d’un simple clic. Ou mieux encore, il suffit d’un index baladeur pour acquérir toutes ces offres exceptionnelles.

 

Nous allons clôturer ici cette chronique d’un mois de novembre en demi-teinte par un clin d’œil… Si d’aventure vous vous gavez de foie gras et autres «bonnes» choses pour les fêtes de fin d’année et que vous vouliez rendre à votre silhouette l’élégante minceur qu’elle a toujours eue, allez voir quelques films d’horreur. L’épouvante fait fondre les calories, ce sont des chercheurs de l’Université de Westminster qui l’affirment. Pour «Shining», ce seront 184 calories que vous perdrez, pour «Les dents de la mer» uniquement 161, et «Massacre à la tronçonneuse» ne vous soulagera que de 107 calories… Mais on suppose que vous pouvez aussi multiplier les visionnements pour atteindre plus vite votre objectif. En tout cas, voici bien une information qu’il faudra désormais indiquer sur nos fiches filmographiques.

 

M. Cl.