MEDIACTU – Avril 2012

 

On n’est déjà plus très loin du Festival de Cannes – d’ailleurs la sélection vient d’être annoncée – et il n’est pas étonnant que le mois d’avril soit, en quelque sorte l’antichambre des grandes manifestations cinématographiques. Tout commence avec le BIFF, le festival du film fantastique de Bruxelles, qui s’offre pour le lancement de sa 30ème édition une adaptation d’Edgar Allan Poe, signée John Cusack. De quoi se mettre immédiatement dans une ambiance gothique aux limites de la folie. Certains suppléments de presse écrite en profitent pour se livrer à de petits inventaires des « lieux du crime ». Vous passez ainsi de la cabane au fond des bois, avec ses portes entrebâillées et ses planchers grinçants, aux ascenseurs qui se bloquent entre deux étages. Mais vous pouvez leur préférer des pavés mouillés reflétant un réverbère perdu dans le brouillard, ou encore une douche, le lieu idéal, emblématique, de l’horreur teintée de voyeurisme. Sachez aussi que la 3D fait son entrée au royaume des morts vivants.

A la fin du mois d’avril, autre festival, à Liège cette fois, le Festival International du Film Policier. Sa notoriété s’amplifie, son public s’étoffe. Certes, Liège se devait d’avoir un festival de cinéma. La patrie de Simenon, mais aussi des frères Dardenne, de Bouli Lanners, de Thierry Michel, devrait – nous semble-t-il – essayer d’accroître la valeur cinéphilique et pédagogique de cette manifestation, en ne privilégiant pas les activités périphériques au détriment d’une programmation qui pourrait s’ancrer dans les classiques du genre tout en allant à la recherche d’œuvres novatrices. Mais attendons, il est normal que ce festival, à sa sixième édition, cherche encore ses marques.

Cinéma encore avec le Brussels Short Film Festival, proche des écoles de cinéma, IAD, INSAS, INRACI, La Cambre, etc. avec, en point de mire, une journée de « speed pitching » le 2 mai. Il s’agit ici de définir et de vendre un projet cinématographique en quelques minutes. Cet atelier sera encadré par des professionnels de la SACD et des scénaristes prêts à initier les jeunes réalisateurs à l’apprentissage de la théorie et de la pratique de l’art du pitching.

Cinéma toujours, aux Musées royaux, les débuts de Kubrick comme photographe « Pour réaliser un film tout seul, comme je le faisais avant, il faut, en fait, n’avoir aucune connaissance, sauf en matière photographique ». C’est vrai que la maîtrise du code et de la lumière du cinéaste y prend racine. L’auteur des « Sentiers de la gloire », de « 2001 » ou de « Shining » prouve, en tout cas, la pertinence du constat. Et nous découvrons effectivement, dans l’exposition, des clichés « prémonitoires ». En 1945, il publie dans la revue new-yorkaise « Look », puis recherche les effets d’ombre et de lumière, de mise en scène aussi, sans jamais renier son intérêt pour le caractère documentaire de ses réalisations et le rythme qui doit les animer. Une initiative heureuse des Musées royaux, qui annonce la rétrospective programmée par la Cinématek du 9 mai au 16 juin, une rétrospective culminant avec « Eyes wide shut »…

Cinéma enfin, avec la sortie en salle et en DVD de la version restaurée du « Voyage dans la lune » de Georges Méliès. Il s’agit bien, en fait, de la restauration numérique d’une copie couleur du chef d’œuvre de Méliès (1902) découverte à la cinémathèque de Barcelone. Il a fallu vaincre la décomposition de la pellicule nitrate, très vite, et Serge Bromberg, le maître d’œuvre de cette restauration de déclarer « Le voyage dans la lune » n’a jamais été fait pour être vieux, ni muet, ni en noir et blanc… c’est un film qui fait beaucoup plus rêver qu’ « Avatar »… ». En tout cas, c’est aussi une opportunité rêvée pour redécouvrir un film éternellement jeune, bien qu’il soit plus que centenaire, et un génie, celui de Georges Méliès, l’un des grands magiciens de notre temps.

Et puis, il y a un autre objet mythique : la 12.004, dite « La Douce » sortie des ateliers de Cockerill dans les années 1930. Il s’agit évidemment de cette locomotive belge qui, en 1939, avait établi un record du monde de vitesse, 165 km/h… uniquement avec du charbon ! Mais il s’agit surtout, pour nous, d’un nouvel album de BD publié ce 18 avril par François Schuiten. Argument marketing du lancement de l’album : une expérience 3D de réalité augmentée développée par Dassault systèmes. Tel que c’est ainsi présenté, ça sent le gadget à plein nez. « C’est comme si le monde créé par François Schuiten devenait soudain réalité » déclare le vice-président « digital » de la boîte à logiciels. Soit, mais François Schuiten avait-il vraiment besoin de « cette réalité augmentée » pour nous séduire et nous fasciner ? A trop vouloir, en faire on finit par tuer la réalité (et, en même temps, le rêve…). Une planche de BD, bien gérée, crée sa propre dynamique, par son graphisme, le jeu des plages de couleur, sa structuration, et il ne nous paraît pas nécessaire d’y superposer une quelconque animation.

Terminons cette revue du mois d’avril médiatique par deux initiatives qui nous sont très proches, les REWICS d’abord. Il s’agit, pour rappel, des Rencontres Wallonnes de l’Internet citoyen et du Forum de l’Innovation sociale à l’ère digitale, une manifestation attendue par tous les formateurs aux médias. Une quarantaine d’ateliers et de conférences, des animations tout au long de la journée (18 avril à la Géode, Charleroi), et surtout une invitation à des échanges et collaborations, s’articulant autour de neuf axes thématiques : citoyenneté et politique, technologies et applications 2.0, emploi et identité numérique, médiation numérique, innovation sociale, enseignement (avec Technofutur TIC), non-marchand et associations, EPN, Culture, Art et Lecture Publique. Le panel est donc très large pour que chacun puisse y trouver le meilleur moyen de prendre en compte la culture numérique dans le domaine qu’il a à cœur de développer.

Venons-en enfin à la Rencontre avec la presse, organisée par les centres de ressources en éducation aux médias et le CSEM. Thème choisi : « Liberté de la presse et droits de la personne ». Une journée de grande qualité, une trentaine d’enseignants, quatre journalistes intervenant sur la thématique de la vie privée face au droit d’informer, animations prise en charge par les formateurs du CAF, du CAV, de Média Animation et de l’AJP.

Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du « Soir », ouvre le feu de la réflexion et du débat en évoquant la tension habituelle qui existe entre les deux droits, une tension difficile à gérer (même avec l’appui du Courrier des lecteurs, du droit de réponse et du Conseil de Déontologie). Une info de caractère privé a-t-elle intérêt à être jetée sur la place publique ? La balance entre dignité humaine et droit à l’info est difficile à équilibrer… Et l’on va en trouver des illustrations aussi bien dans l’affaire DSK, dans le Belgacom de Didier Bellens, dans l’accident de Sierre, et dans une série de procès à sensation. La problématique du conflit entre vie privée et intérêt public est très complexe, d’autant que pour certains, l’exposition de leur vie privée devient un argument de marketing politique. L’essentiel, nous rappelle Béatrice Delvaux, est de poser les questions adéquates, sachant qu’on n’est vraiment jamais forcé de publier les réponses reçues. Mais l’essentiel aussi est que sexe, argent, influence ou abus de pouvoir, doivent être traqués dans la recherche de l’info. La notion d’ « intérêt public » doit être largement interprétée. Où commence-t-elle ? Et, dans ce domaine aussi, il y a de notables différences entre presse hexagonale et anglo-saxonne,  les balises de l’une ne s’identifient pas aux balises de l’autre. De toute manière, il importe que le processus de décision soit encadré par l’ensemble du comité de rédaction.

Philippe Leruth, de « L’Avenir », intervenait ensuite, avec un thème très proche, mais avec d’autres recoupements possibles : « Du respect de la vie privée dans le fait divers ». L’importance du fait divers connaît de nombreuses mutations, selon le type de presse – nationale ou locale – selon l’époque, selon les « pourvoyeurs d’info ». Un problème par exemple, qui n’a cessé de se poser : faut-il nommer ou non les gens impliqués dans un fait divers, dans un procès, etc. ? Et Leruth de prendre notamment deux fait divers récents : l’explosion de la rue Léopold à Liège et la fusillade de la Place Saint-Lambert, et de les analyser dans les retombées générées par telle ou telle relation des faits. Attention aux dérives certes, sans oublier que la presse connaît une pression de plus en plus forte. Les réseaux sociaux n’y sont pas étrangers… Et précisément, le paradoxe réside dans le fait que que les mesures de protection de la vie privée se veulent de plus en plus nombreuses alors que chacun peut « se lâcher » sur le Net quitte à « en payer les pots cassés » très longtemps…

Jean-Claude Matgen, chroniqueur judiciaire à « La Libre Belgique » prend le relai, en abordant les deux problèmes importants que sont la présomption d’innocence et le droit à l’oubli. En aucun cas, la presse ne peut jeter les gens en pâture à l’opinion publique. Il faut réussir à faire naître la vérité judiciaire pour la gérer en toute déontologie. Les médias accordent aujourd’hui une importance grandissante à l’ « affaire judiciaire ». Dans certains cas, il faudrait d’ailleurs privilégier la dimension sociétale de ce genre d’évènement sur sa mise en scène et son côté spectaculaire. Comme toujours, le problème ici c’est le traitement et l’on est tôt ou tard embarqué dans une forme de spirale loin de l’aspect pédagogique qui devrait primer. Matgen rappelle aussi que le fameux secret de l’instruction ne doit aucunement être pris en compte par la presse, sauf si cela devait nuire à l’enquête. Il aborde ensuite  le droit à l’oubli ou à la réparation. Il faut pouvoir, en effet, rendre compte d’un acquittement, d’un non-lieu, de l’innocence de l’inculpé. On parle d’ailleurs d’un droit de « complément » qui devrait correspondre systématiquement à une déclaration d’innocence publiée, par exemple, sur le site Internet de l’organe de presse.

Enfin, c’est Nicolas Vadot, dessinateur de presse, notamment auprès du « Vif » et de « L’Echo », qui clôture cette très intéressante journée. Etre dessinateur de presse, c’est être aussi journaliste et donner son point de vue sur les événements et les comportements de ceux qui les vivent ou les provoquent. Le dessin de presse doit surtout viser à l’efficacité, par ses codes, ses procédés, ses techniques. Il doit aussi se fonder sur une grande complicité entre l’auteur et les lecteurs. C’est donc bien un genre journalistique à part entière avec…ses tabous. Le sexe, l’argent, le pouvoir, la religion, l’armée, y figurent en bonne place. Et pour nous le rappeler, Vadot projette une trentaine de ses dessins. On passe ainsi de DSK à Sarkozy, de Fabiola à Mgr. Léonard, de Kadafi à Bachar. Mais le dessin de presse, nous dit-il, doit aussi accrocher les jeunes au journal, et les relancer sur une page Facebook ; tout en étant prudent car les dessins sur le Web font le tour du monde et s’il n’y a pas trop de réactions hostiles et violentes à craindre dans une démocratie comme la nôtre, il y a des régimes qui sont beaucoup moins tolérants. « L’essentiel encore, ajoute Vadot, est de casser l’inconscient collectif et de toucher le lien social »… Une très belle leçon…

Toute cette journée fut d’ailleurs, nous le pensons, une très belle leçon sur la presse écrite, certes, mais surtout sur sa dimension sociale et sur le fait de société qu’elle constitue à elle seule. Une initiative à renouveler.

Signalons enfin que l’exposition « La presse à la Une »  (De la gazette à Internet), organisée par la Banque nationale de France, s’est ouverte en avril et se tient jusqu’au 15 juillet sur le site François Mitterrand à Paris. Voir, par ailleurs, la présentation du livre imposant qui fait écho à cette exposition dans la rubrique « Ouvrages récents ».

 

M.Cl.