MEDIACTU – Mars 2012.

 

Mars s’ouvre, pour nous, avec une conférence-débat du plus haut intérêt. Son thème : « Pour un humanisme numérique ». Ca se passe à la Ferme du Bierleau à l’UCL et la conférence coïncide avec la clôture de résidence de l’écrivain François Bon, qui avait d’ailleurs publié en 2011 un essai sur la littérature numérique intitulé « Après le livre » et est fondateur d’une maison d’édition numérique. Plusieurs professeurs d’université participent à cet après-midi d’études, ils sont issus pratiquement tous du monde de l’histoire, de la pédagogie ou des lettres. C’est le cas notamment de Marcel Lebrun, Michel Dupuis, Marc Lits et de Milad Doueihi, titulaire de recherche sur les cultures numériques à l’université Laval (Québec) et auteur de deux ouvrages récents sur le thème : « La grande conversion numérique » (2008) et « Pour un humanisme numérique » (2011), qui a donné l’intitulé de cet après-midi.

Sur le fond, la séance va souvent prendre les accents d’une réflexion sur la culture et la création, sur la lecture, l’écriture et le livre. Des thématiques, qui vont être abordées dans la double optique de la rupture et de la continuité d’un héritage qui doit rester omniprésent. Et c’est peut-être ici que réside l’essentiel du message. La tradition doit s’ouvrir à la modernité, aux nouvelles technologies, à un univers de mouvement de flux et de flou, de désordre même, qui peut être perçu comme une caractéristique du cybermonde et de ses nouveaux instruments. Mais cette tradition doit subsister et le livre notamment en reste l’objet fétiche.

Et Milad Doueihi nous renvoie à toute la réflexion qui sous-tend précisément son livre, l’émergence d’une technologie collective qui modifie la vie de chacun, le bien social, l’identité. Un nouveau savoir-être, un nouveau savoir-lire aussi, un savoir-lire numérique. L’enseignement numérique implique une restructuration accélérée de nos valeurs culturelles. Cette restructuration nécessite, par exemple, une autre occupation de l’espace par l’homme, un autre type de mobilité. Cette nouvelle mobilité marque désormais l’objet culturel et entraîne, par exemple, une profonde mutation pour le document lui-même. C’est ainsi qu’il n’est pas vain de dire que l’individu devient un document vivant par sa seule identité numérique, avec sa mesurabilité, sa traçabilité. Cette mutation de l’individu - notamment avec les nouvelles pratiques de la géolocalisation - vient modifier les relations sociales, le concept de lien social.

Une autre notion qui n’est pas étrangère à la révolution numérique, c’est la problématique de l’oubli. La technique numérique ne peut pas penser l’oubli ; le numérique a, en effet, la prétention de sauver toute la mémoire du monde. Or, disait Nietzche, « l’homme sans oubli est un monstre ». Bref, il y a dans les nouvelles perspectives culturelles qui s’imposent une vaste matière à débat.

Le professeur Marcel Lebrun entame ce débat en analysant les conséquences que le numérique a, dès à présent, sur l’enseignement et l’apprentissage. Toute la partie transmissive peut désormais y être effectuée à distance pour ouvrir plus largement l’espace consacré à la réflexivité, à la structuration du désordre, à la collaboration. En d’autres termes, les nouvelles technologies nous condamneraient à devenir plus intelligents et plus inventifs ! en nous donnant le temps de faire d’autres choses, de créer ou de mettre en place des dispositifs de recherche qui permettraient notamment de mieux utiliser le concept d’espace-temps.

L’exemple le plus probant de cette nouvelle culture qui est en train de se structurer, c’est évidemment Wikipédia, qui nous est présenté par son Président français Rémi Mathis. Il s’agit bien d’un rapport classique au savoir qui se double d’une relation nouvelle. Wikipédia est symbolique du renouvellement complet d’un système qui a fini par se nécroser, c’est une forme de ré-appropriation des savoirs, loin des contraintes, des blocages ou d’une hiérarchisation sans objet. Un nouveau rapport à la gestion de l’info, un nouveau lieu de synthèse, un lieu d’auto-construction, d’auto-formation, d’internationalisation et d’interculturalité. En outre, une volonté de partage, d’ouverture, d’implication citoyenne.

On touche effectivement ici aux fondements d’un humanisme qui nous projette très loin des contingences techniques et d’objectifs à court terme. C’est un nouvel environnement à maîtriser, une autre politique éducative et culturelle à concrétiser dans nos structures quotidiennes d’enseignement notamment. Une vue utopique ? Un idéal qui reste pour l’instant étranger à nos contingences matérielles, financières ou à nos habitudes de raisonnement ? En tout cas, une belle invitation à repenser au moins nos dispositifs d’enseignement en y introduisant, un jour peut-être, des « humanités numériques », qui correspondraient à une première manifestation de cette grande synthèse qui est aujourd’hui plus que nécessaire.

Mais venons-en maintenant aux « grands évènements médiatiques » de ce début mars : les Césars par ci, les Oscars par là avec le triomphe d’un film français « The artist » de Michel Hazanavicius et de son interprête principal, Jean Dujardin. Le tout Paris applaudit en oubliant très vite son scepticisme à l’égard d’un ovni cinématographique. Quant au producteur, Thomas Langman, il peut également se retrouver au septième ciel, avec ce film certes plus hollywoodien que parisien. Nous voulons surtout retenir de ce très beau succès qu’il s’agit peut-être avant tout, d’un vibrant hommage au 7ème art, avec tout ce qu’il peut avoir de mythique, et de paradoxal aussi quand on analyse les réactions de chacun, de part et d’autre de l’Atlantique, dans ce grand concours de strass et de paillettes.

Plus près de chez nous, à Liège en fait, c’était l’ouverture de la Biennale internationale de la photo et des arts visuels, la 8 ème du genre (BIP 2012). Le thème retenu cette année : « Images de l’amour, amour de l’image » invite incontestablement à parcourir les nombreux lieux où le BIP propose des œuvres. Disons-le immédiatement, ces œuvres sont globalement de qualité bien que leur ensemble soit très hétérogène. L’intérêt de la manifestation est artistique certes par ses exigences, mais il est surtout social, par l’accessibilité des œuvres et par leur diversité. Car la biennale, ce ne sont pas moins de sept expositions dans des musées, galeries, mais aussi dans l’espace public, rues piétonnes, abribus, etc. La volonté des organisateurs est donc bien de mettre à profit toute la ville afin que la BIP vienne en quelque sorte l’imprégner et créer une atmosphère inédite. Le thème choisi place inévitablement les émotions et l’implication affective de chacun au cœur du propos. Les images dont il est question sont statiques ou dynamiques, beaucoup s’imposent par la force émotive de leur noir et blanc. Il en est des lumineuses, aérées, tendres, mais souvent elles sont contrastées, génèrent une forme d’angoisse et s’ancrent délibérément dans la solitude des êtres qu’elles représentent… Le « bateau phare » de cette expo est le MAMAC (musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain) avec une thématique assez disparate dans son traitement et dans ses contenus. « Only you, only me ». Mais la disparité produit parfois le sublime. Elle peut aussi interpeller violemment et créer un moment de fascination ou confiner au cri. Le rapport amoureux, avec ses mille facettes, est au centre d’un espace qui s’organise autour d’un accrochage des œuvres, structurant les affinités ou les confrontations. Un beau travail de la commissaire de la Biennale Anne-Françoise Lesuisse. Celle-ci, en paraphrasant Jacques Lacan qui disait que l’amour, c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas, se risque à dire que « faire une image, c’est enregistrer quelque chose qu’on ne voit pas pour le montrer à quelqu’un qui regardera ailleurs »… Dès lors, ne pourrait-on dire que toute image est effectivement une image d’amour ?... Une heureuse conclusion pour ceux qui se risqueraient encore à se lancer dans la formation à la lecture d’images ! Mais pour conclure aussi avec ce BIP 2012, l’un de ses principaux mérites est de nous faire clairement percevoir qu’un média – ici la photo – c’est d’abord la création d’un lien social entre les individus pour construire, parfois artificiellement bien sûr, une communauté d’intérêt, d’émotion, de mémoire ou simplement de plaisir.

A Liège toujours (décidément !), une expérience intéressante… On annonce la création au théâtre de la place d’ « Husbands ». Il s’agit d’une pièce mise en scène par Ivo Van Hove d’après l’œuvre cinématographique de John Cassavetes réalisée en 1970. Ce n’est pas la première incursion du metteur en scène dans l’œuvre du réalisateur. D’un média à l’autre… il est toujours extrêmement riche d’explorer les lieux de convergence et les rencontres pas toujours improbables. En voici, en tout cas, une opportunité.

Traditionnellement, le mois de mars médiatique se clôture par la présentation du rapport d’activités du CSA aux opérateurs et à la presse. Cette année, son Président Marc Janssen a voulu remettre en évidence les quatre grands axes qui façonnent l’action du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel : le dialogue avec les acteurs du secteur, l’écoute du public, la recherche prospective et la transparence.

Le CSA se veut d’abord un lieu de rencontres et de débats dans une culture d’équité, de développement économique et culturel, de création et d’expression libres. Cette volonté veut se développer dans un environnement de corégulation. Un tel environnement implique évidemment la participation et le volontarisme de chacun des acteurs. Ce fut le cas notamment dans des domaines aussi variés que la définition de règles communes en matière de couverture médiatique des campagnes électorales, la dimension européenne des programmes de vidéo à la demande, ou encore l’accessibilité des programmes aux personnes à déficience sensorielle.

Du côté du public, même souci de rencontrer les demandes, les souhaits ou les plaintes. En 2011, celles-ci n’ont pas augmenté. Quelque deux cents plaintes ont été traitées. Sur quatre-vingt dossiers pour lesquels une instruction a été ouverte, six sanctions ont été prononcées. Les principaux motifs de plaintes restent la publicité, avec plus particulièrement le placement de produit, mais aussi la qualité de l’information et la protection des mineurs.

Le CSA cherche à accentuer sa présence dans les écoles et les associations, dans le baromètre des préoccupations citoyennes, mais aussi dans les milieux académiques, notamment dans une optique d’accompagnement, de contrôle et de promotion des nouvelles plateformes de diffusion.

La transparence est aussi au rendez-vous. Ainsi, le programme 2012 du CSA est, dès à présent, rendu public sur le site internet du CSA.

 

M.Cl.