MEDIACTU – Février 2012

 

Il n’est pas exagéré de dire que c’est le succès (inattendu ?) de « The Voice » à la RTBF qui marque ce début d’année dans nos médias. La chaîne publique se devait de frapper un grand coup pour récupérer des audiences – des jeunes notamment – qui allaient voir ailleurs ce qu’ils ne trouvaient plus à Reyers. Un grand coup et surtout un pari risqué, car ce type d’émission n’est pas vraiment dans la tradition RTBF, mais plus proche d’une télévision privée avec ses références à « X Factor » ou à « Star Academy ». Certaines nouveautés scénographiques, une qualité globale du produit, un respect des candidats, sont des éléments positifs que François Tron met en exergue pour opposer son produit aux habituelles émissions de téléréalité. Si l’audience regagnée est un véritable succès touchant aux 30% de part de marché, si les espaces publicitaires se vendent comme des petits pains, si le placement de produit y cartonne désormais, on est quand même en droit de se poser certaines questions sur les coûts réels de ces 17 émissions programmées depuis décembre et sur les dégâts collatéraux occasionnés à d’autres émissions de la chaîne publique ou à l’image du service public en tant que tel…

Mais février, au fond, c’est déjà le printemps, même si celui-ci n’est que cinématographique. Le 7ème art a pris l’habitude de se réveiller plus tôt que la nature, et ce constat ne procède pas d’une simple illusion d’optique.

Berlin, le premier grand festival de l’année et l’un des plus prestigieux est déjà bien présent, tandis que « près de chez nous », ce sont les Magritte, Anima, le FIFA, ainsi que l’une ou l’autre manifestation d’images et de sons non dénuées d’intérêt, même si elles sont plus confidentielles.

En février, précédant Cannes et Venise, c’est Berlin qui s’impose. On a coutume de dire que le Berlinale est un découvreur de talents. Mais pour cette 62ème édition, il y avait certes de jeunes créateurs mais aussi beaucoup de talents confirmés. Rarement jusqu’à présent, le verdict du jury a été contesté. Et cette année, moins que jamais, semble-t-il, puisque le jury, présidé par Mike Leigh, a attribué son Ours d’Or aux Frères Taviani. On peut légitimement applaudir cette formidable reconnaissance d’un cinéma au service de la qualité, de plus de 30 ans de cinéma au service de la qualité… Pour rappel, ce fut il y a 35 ans que Paolo et Vittorio Taviani recevaient la Palme d’Or du Festival de Cannes pour « Padre Padrone » (1977), une œuvre qui venait déjà à l’époque souligner le talent des deux auteurs, qui s’était déjà manifesté dans leurs œuvres précédentes abordant thèmes politiques et sociaux sur un ton proche de celui de la fable. Ici, c’est encore d’une œuvre puissante qu’il s’agit. « César doit mourir » est à la fois un hymne au drame Shakespearien et une expérience émouvante, dans la mesure où les comédiens sont des détenus de la prison de Rebibbia que les deux frères avaient découverts dans une lecture de « L’Enfer » de Dante. Voilà une récompense qui consacre la carrière de deux respectables octogénaires, toujours aussi audacieux dans l’art qu’ils pratiquent et exigeants dans le choix de leurs thèmes et de leur approche formelle. L’Ours d’Or 2012 n’est donc pas à l’image de la nostalgie d’un certain cinéma, mais le prix d’une très remarquable continuité, qui nous fait dire une fois encore que derrière nos images actuelles, il y a des filiations que nos jeunes spectateurs devraient pouvoir construire. Le jeu mérite en tout cas d’être joué, car il est bien synonyme de fascination.

Et, pendant ce temps, comment se porte notre cinéma ? Pour mieux se faire connaître, il se fait d’abord plaisir avec les Magritte du Cinéma.  Une opération de charme, ou de marketing diront d’autres, qui vise à réconcilier notre cinéma belge francophone avec son public, un public qu’il commence à trouver petit à petit, après l’avoir longtemps cherché. Tous les indicateurs pointaient les « Géants » de Bouli Lanners comme grand vainqueur… et les indicateurs ne se sont pas trompés. Les trois gamins en vadrouille dans nos beaux paysages ardennais ont de nouveau suscité l’empathie de tous et notre Bouli a fait main basse – un total de cinq Magritte – sur les trophées ; exeunt les Dardenne, a-t-on remarqué un peu vite. Nous nous bornerons à dire que c’est dommage que « Le gamin au vélo » n’ait pas récolté autre chose que le « meilleur espoir masculin » (pour le jeune Thomas Doret…), ce qui pourrait faire figure de paradoxe ! Nous voudrions, quant à nous, mettre ici à l’avant-plan un fragment de déclaration de Bertrand Tavernier, qui se trouvait ici être président de cérémonie et parrain de la fête… « Il faut convaincre les publics jeunes... Et ce travail doit commencer par être fait à l’école ». Qu’on se le dise !

Après les paillettes, les festivals : Anima à Bruxelles et en décentralisation, le Film d’amour de Mons. Anima, c’est dix jours de dessins animés et de films d’animation, courts et longs métrages du monde entier. Diversité, créativité, bonhomie, humour, le traditionnel cocktail d’une manifestation qui a su s’imposer dans le domaine.

Du 28ème FIFA, nous aurons l’occasion de vous reparler, il se clôturera au début du mois de mars. Le FIFA a accordé une carte blanche au cinéma scandinave, dont les organisateurs soulignent l’étonnante énergie. Mais c’est tout le cinéma européen qui sera ici présent car le festival veut s’identifier comme un évènement culturel majeur qui anticipe la mise en place du programme. « Mons, capitale européenne de la Culture 2015 ». D’après les organisateurs, une constante thématique se met d’elle-même en évidence, un profond mal-être affectif, qui se traduit notamment par « l’incapacité de stabiliser un couple ou de préserver une structure familiale dans un monde moderne qui engendre un processus d’isolement et de déshumanisation ». L’amour aurait-il à ce point changé de visage ? Mais quoi qu’il en soit, nous aurons l’occasion d’en reparler le mois prochain.

Avant de refermer cet abondant volet cinéma, nous voudrions faire simplement allusion à la dixième édition du Festival Imagésanté. C’est un rendez-vous cinématographique très spécifique, mais destiné au grand public. Les organisateurs : l’Université de Liège et le CHU. Son thème : la santé au sens large du thème : médecine humanitaire, alimentation, recherche médicale, mais aussi la retransmission en direct d’interventions chirurgicales. « Voir, comprendre, dédramatiser ». C’est effectivement une biennale internationale qui tient à la vulgarisation et qui a connu un succès grandissant depuis 1994. A l’époque, la production se limitait à quelques films sortis des blocs opératoires et produits par des médecins généralement à destination de leurs étudiants. Aujourd’hui, c’est 350 films reçus internationalement avec des jurys nationaux et internationaux, des ciné-débats. Cette année, vous aurez droit en prime à une intervention neurochirurgicale commentée par le professeur Brotchi. On vous avait bien dit que Liège était une ville d’images… Mais voici, en tout cas, une belle mission éducative prise en charge par le cinéma.

Une autre mission éducative, c’est le témoignage que le film du Liégeois Thierry Michel apporte au monde avec « L’affaire Chebeya, un crime d’Etat ? ». Eduquer, c’est aussi dénoncer et s’engager, pour que d’autres à leur tour s’engagent. Le procès des tueurs de Floribert Chebeya, défenseur des droits de l’homme, est ici au cœur de ce film projeté à Bruxelles, Paris, puis Genève.

Clôturons cette rubrique par deux autres éléments de ce février très médiatique. Le « Soir » a consacré sur une double page quotidienne les résultats de 13 enquêtes sur les tabous des Belges. La série se clôture par une enquête plébiscitée par les internautes « Les médias ne sont pas indépendants ». En d’autres termes, notre presse est-elle sous influence ? Quid de la pression exercée par le capital du groupe d’actionnaires, la publicité, l’audimat ou les journalistes eux-mêmes sujets à l’une ou l’autre pression. Bien sûr, nous avons ici droit à des témoignages de patrons de presse, de directeurs de l’information (chaînes publiques et privées), du président du Conseil de Déontologie, du vice-président de l’A.J.P., du président du CSA et même de la porte-parole du P.S. On passe ainsi en revue un certain nombre des relations, dites complexes, entre le pouvoir, la politique et les médias. On a droit aussi à une intervention de Geoffrey Geuens, chargé de cours en communication à l’ULg, qui dans la foulée du livre de Serge Halimi « Les nouveaux chiens de garde » affirme que les médias ne peuvent pas être indépendants tout simplement parce qu’ils sont victimes d’une proximité idéologique avec le gouvernement et que, comme tels, ils ne peuvent que relayer les discours du pouvoir en place. Un petit dossier qui ne manque pas d’intérêt pour les collègues qui participent à l’opération « Ouvrir mon quotidien ».

Enfin, pour terminer cette chronique de février avec sourire et bonne humeur, nous sommes allé voir l’exposition « Un certain Robert Doisneau » à l’abbaye de Stavelot (rassurez-vous, elle s’y déroule jusqu’au 30/09 et elle vaut le déplacement). Quelque deux cent clichés nous proposent ici un très bel échantillonnage de la maîtrise et de l’humour du photographe, deux cent parmi quelque 500.000 négatifs réalisés par ce maître, qui a toujours été attiré par le bonheur simple et par une photographie humaniste, au sens le plus complet de l’expression. Les quartiers qu’il prend plaisir à parcourir s’appellent Gentilly, Les Halles, Joinville, Rue de Rivoli, Boulevard Raspail, Quartier Opéra, Place St.Michel, les Tuileries ou Saint-Denis, … Les gens qu’il prend plaisir à cadrer sont des « petites gens », des enfants d’abord dans leur spontanéité, leur espièglerie, leur exubérance, mais aussi des boutiquiers devant leur étal, un accordéoniste au coin d’une rue, des ménagères faisant la queue devant un magasin d’alimentation (Paris, 1945), un jardinier du dimanche, des concierges, des ouvriers à leur établi, des copains au bistrot, un dresseur de chiens, des dames « bien pensantes » à la sortie de l’église, … Bref, l’humanité au quotidien. Mais ce qui frappe immédiatement, c’est la gentillesse, la complicité, le cœur, avec lesquels cette humanité est représentée. Il y a ici un clin d’œil, là un sourire assuré, jamais de la caricature, jamais le moindre dédain à l’égard du modèle choisi. Mais parmi ces petits métiers et ces gens du peuple, on croise aussi des écrivains, des peintres que Doisneau a côtoyés à Saint-Germain-des-Prés ou sur leur lieu de travail. On découvre ainsi Simone de Beauvoir, Blaise Cendrars, Jacques Prévert, Giacometti, Simenon ou Picasso. Il y a aussi quelques scènes de la libération à Paris, barricades élevées par les résistants, presse clandestine, arrestation d’un franc-tireur, etc.

Bref, on est très loin de l’emblématique (et très contesté dans sa prétendue spontanéité) « Baiser de l’Hôtel de ville ». On parcourt ce florilège qui fleure bon le rêve, le bonheur simple, la fraicheur, l’humour. On redécouvre aussi l’immense intérêt de la photographie en noir et blanc. Un régal, dont il importe de profiter à l’aise dans ce très beau musée/abbaye de Stavelot, « loin du bruit et de la fureur du monde »…

 

M.Cl.