CAVL Lettre d'info n°44
Lettre d'info n°44 Mars 2017 |
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Centre Audiovisuel Liège asbl |
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Une fois n'est pas coutume… nous voudrions consacrer cet édito à la présentation d'un ouvrage récent : « La langue des médias » d'Ingrid Riocreux, qui nous paraît particulièrement intéressant pour notre propos : l'éducation aux médias.
Il s'agit tout à la fois d'une mise en accusation et d'un plaidoyer. Une dénonciation, tout d'abord, de la presse d'info telle que la pratiquent des journalistes qui ne maîtrisent pas (assez) leur outil de communication qui est la langue, qui ont trop souvent tendance à confondre l'événement et leur interprétation des faits, qui acceptent régulièrement de se soumettre au politiquement correct et aboutissent ainsi à un consensus sur des semi-vérités (ou des semi-mensonges).
Une triple accusation, sévère et cruelle, qui jette le discrédit sur la profession et mériterait d'être relativisée. |
Mais il y a aussi un plaidoyer de l'auteure pour que soit développée une remédiation à cet état de choses. La remédiation, on s'en doute, porte sur les moyens utiles à un vrai décryptage de l'info. Et ce décodage, pour être efficace, doit évidemment s'appuyer sur une formulation précise et rigoureuse.
Trop souvent, le journaliste reste dans l'approximation, se permet une hybridation linguistique incompatible avec une définition claire des concepts abordés, n'hésite pas à mélanger les niveaux de langue. Les inexactitudes lexicales viennent polluer l'information et la rendent difficilement compréhensible pour le lecteur/auditeur/téléspectateur. La reformulation maladroite et souvent discutable d'une dépêche d'agence est surtout présente dans l'exposé de sujets qui peuvent « faire problème », qu'il s'agisse, par exemple, du « mariage pour tous », de l'islamophobie ou de l'euthanasie.
Mais le relâchement dans la communication entraîne aussi parfois une confusion pour le moins dommageable entre les faits eux-mêmes et le point de vue du journaliste à leur propos. Des raisonnements tout faits, des présupposés considérés comme des vérités, un manichéisme simplificateur, n'aident pas à faire la part des choses, et l'implication subjective ou l'interprétation déguisée du journaliste favorise les amalgames. Comme les mots ne sont jamais neutres, le choix d'un terme excuse ou condamne, juge, sans qu'on y soit toujours attentif, et ceci est vrai pour l'émetteur comme pour le récepteur.
Enfin, l'auteure de « La langue des médias » regrette amèrement la soumission du journaliste d'info au politiquement correct, à la pensée dominante, à l' « entre-soi idéologique ». Il est vrai qu'il n'y a malheureusement plus de presse d'opinion et que le formatage consensuel est devenu une sorte de passage obligé qu'emprunte volontiers la profession pour ne pas s'attirer d'ennui ou simplement comme solution de facilité et de confort intellectuel.
Trois reproches qui font donc référence à des déficits langagiers, éthiques et idéologiques, déficits qui pour la plupart s'enracinent dans une communication bancale.
Et encore, pourrions-nous ajouter, l'auteure ne fait-elle allusion ici qu'aux médias dits classiques, aucune référence à des exemples pris dans la presse en ligne ou dans l'information circulant sur les blogs ou réseaux sociaux, susceptibles de favoriser des dérapages pas toujours contrôlés et une désinformation contagieuse.
Les remèdes, quant à eux, ne se situent pas uniquement dans les écoles de journalisme, mais dans un véritable partenariat entre l'émetteur et le récepteur ou, si l'on préfère, entre le producteur d'info et le consommateur. Car un vrai décodage de l'actualité, qui vise à rendre celle-ci accessible sans l'édulcorer ou en gommer les nuances, implique les deux pôles et réclame de part et d'autre un apprentissage spécifique, une volonté d'échapper au conditionnement idéologique, une maîtrise des techniques du discours. Avouons que celles-ci ont été trop souvent négligées dans les pratiques pédagogiques ou éducatives ; elles représentent pourtant un outil essentiel pour convaincre ou… pour ne pas se laisser manipuler. Le débat d'idées, argumenté et ouvert, fait appel à ces stratégies, qui viennent bien nourrir l'analyse, la mise en perspective, et qui sont à la base de tout décryptage et de toute résistance intellectuelle au « prêt-à-penser ». Peut-être les cours d'EPC du secondaire remettront-ils cette argumentation et ces débats à l'honneur. Il y a bien dans l'absence actuelle de cette pratique une source importante d'inégalité sociale …
Voici, en tout cas, une bien belle leçon d'éducation aux médias, même si l'ouvrage ne s'y réfère pas explicitement. Michel Clarembeaux Depuis janvier 2017 (Lettre d’Info n°43), six ouvrages récents sur les médias ont fait l’objet d’une recension, qui se trouve sur notre site. Nous les évoquons ici par le biais d’abstracts. Pour les analyses complètes, cliquez sur le titre de l'ouvrage qui vous intéresse.
M. Cl. |